LES CHIFFRES

, par STOPMEP

L’épilepsie entraine une surmortalité globale par rapport à la population générale.

Le ratio de mortalité standard (RMS) est de 2,3 : cela signifie qu’une personne souffrant d’épilepsie a 2,3 fois plus de chances de décéder qu’une personne n’en souffrant pas [1] . Certains chercheurs rapportent un taux de 3 fois supérieur.

Les décès des personnes atteintes d’épilepsie peuvent être classés comme suit [2] :

 les décès dus à une maladie neurologique sous-jacente, comme une tumeur au cerveau ou des AVC, qui entraîne aussi de l’épilepsie ; les décès peuvent être imputables à la tumeur au cerveau ou à l’AVC, ou à d’autres causes iatrogéniques ou génétiques.

 les décès liées à l’épilepsie elle-même : les noyades, les accidents de la route, les chutes,
brûlures, d’autres accidents survenus pendant la crise , l’état de mal [3] et la mort subite et inattendue en épilepsie (SUDEP).

 les décès liés à des comorbidités comme une dépression mortelle, menant au suicide, ou aux effets iatrogéniques des médicaments utilisés contre l’épilepsie ;

En effet, pour comprendre les raisons de cette surmortalité, il est important d’avoir à l’esprit que l’épilepsie peut être une pathologie en tant que telle et être le seul problème de santé rencontré par une personne en bonne santé par ailleurs ; elle peut aussi être le symptôme ou un des symptômes d’une maladie plus grave ou complexe qui peut être elle-même délétère.

Cela a pour conséquence qu’une partie de la surmortalité n’est pas imputable à l’épilepsie elle-même mais à la pathologie qui a entrainé l’épilepsie. Ceci explique que le taux de décès est proportionnellement plus élevé pour les enfants car, pour eux, il est plus fréquent que l’épilepsie soit le symptôme d’une maladie ou malformation grave, et c’est alors cette pathologie sous-jacente qui peut entrainer un décès prématuré avant que le patient n’ait atteint l’âge adulte.

Comme le taux de mortalité des enfants dans la population générale est très faible, cela entraine un RMS de 9 fois supérieur à celui de la population infantile générale ( source : Dr Donner).

Quant aux décès prématurés des adolescents ou des adultes atteints d’épilepsie, ils surviennent en général pour une raison liée à l’épilepsie (donc non imputable à une autre pathologie) : RMS de 3,8 vs 1,7, source : Dr Donner). C’est aussi le cas des enfants atteints d’un syndrome épileptique comme la maladie de Dravet, qui décèdent donc plus souvent d’une cause liée à l’épilepsie qu’à une autre pathologie.

Les causes de décès liés à l’épilepsie les plus fréquentes sont alors : la mort subite/sudep, le mal épileptique et la noyade ou un traumatisme lors d’une crise.

Les décès par mort soudaine et inattendue :

Pour rappel, la mort subite et inattendue a été tardivement repérée en tant que telle (1997). Cette cause de décès reste mal appréhendée, tant en terme quantitatif (nombre de décès) qu’en terme "qualitatif" (mécanismes et causes).

Bien que son identification ait été tardive, elle est une cause de décès qui n’est pas marginale [4].
Il est en effet très difficile d’estimer le nombre de décès par MSIE, car la MSIE est difficile à identifier.

En effet, selon la définition du Dr Nashef (1997) une MSIE est :

  • une mort soudaine, inattendue,
  • avec ou sans témoin,
  • non traumatique et sans noyade
  • chez une personne épileptique,
  • avec ou sans signe de crise épileptique et
  • à l’exclusion d’un état de mal épileptique documenté,
  • lorsque l’autopsie ne révèle aucune cause toxicologique ou anatomique du décès.

Plusieurs raisons expliquent cette difficulté :

Si les MSIE/SUDEP sont une cause de décès identifiée depuis plus de 20 ans, les médecins français n’abordent ce risque au cours de leur formation en épileptologie que depuis 2 ans grâce à l’action d’Epilepsie France qui a fait introduire un enseignement dans le DU concerné. Par conséquent, la mort subite en épilepsie n’est pas une cause connue pas tous les médecins légistes [5]
Le plus souvent , si une cause potentielle de décès est détectée ( exemple : athérosclérose chez une personne de plus de 40 ans), le décès va être attribué à cette autre cause en priorité. Le diagnostic de mort subite est en effet un diagnostic par défaut, parce qu’aucune cause n’a été trouvée.

Cette difficulté est rencontrée dans la plupart des pays occidentaux. La récente étude néo-zélandaise témoigne de cette difficulté ( cf "Actualités"). Les études en Suède et dans l’Etat de Toronto ont nécessité un grand travail en amont d’identification des cas et de sensibilisation des médecins légistes à la caractérisation des décès.

Enfin, tous les décès des personnes traitées pour épilepsie ne sont pas tracés : quand une personne atteinte d’épilepsie décède, son médecin n’en est pas forcément informé, et même en cas de décès soudain, son état de patient épileptique ne sera pas forcément indiqué sur le certificat de décès.

Le croisement des fichiers de l’assurance- maladie et de celui des décès de l’INSEE n’étant pas autorisé aucun recensement exhaustif n’est possible.

De ce fait, parmi les décès liés à l’épilepsie elle-même, les estimations de cas de MSIE varient du simple au double puisqu’on estime qu’ils représentent de 40 à 80% des décès selon les études ( ref : E.Donner, Neurology, 2017 qui compile les résultats de 4 études : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28242084/ )

Dans ces études, les décès par état de mal ("status epilepticus" [2] ne représentent que 8 à 28% des décès liés à l’épilepsie, ceux par inhalation de 8 à 20% d’entre eux, et la noyade de 0 à 20%.

Taux d’incidence de la mort subite en épilepsie

Regardons maintenant le taux d’incidence de la mort subite en épilepsie (et non plus le pourcentage de décès par SUDEP par rapport à l’ensemble des décès liés à l’épilepsie) qui donne une idée précise du nombre de décès par mort subite chez les patients suivis pour épilepsie, chaque année : il est estimé à 1‰ à 1,2 ‰ patients années [6].

Ce taux, publié en 2019 par l’Académie Américaine de Neurologie, est identique pour les enfants et les adultes. [7] Il est calculé sur l’ensemble des personnes souffrant d’épilepsie. Cela veut dire que chaque année sur 1 000 patients suivis pour épilepsie, 1,2 va décéder. Appliqué à la population française suivie pour épilepsie (680 000 personnes), cela donne un total de 816 décès par an, plus de 2 par jour.

Or, en réalité, la mort subite et inattendue concerne principalement les personnes sujettes à des crises généralisées tonico-cloniques, c’est à dire une catégorie de patients ne représentant qu’une partie ( 20% à un tiers) des personnes souffrant d’épilepsie. En effet, l’épilepsie revêt diverses formes (on parle d’ailleurs "des" épilepsies) et la majorité des personnes épileptiques ne font pas de crises convulsives généralisées, mais présentent des crises partielles ou des absences, et ne font pas de crises convulsives.
Ces 1,2 décès sur 1000 par an sont donc 1,2 décès sur les 200 ou 300 qui font des crises généralisées tonico-cloniques (CGTC) parmi les 1 000 patients, ce qui multiplie par 3 ou 5 le taux d’incidence sur la population réellement concernée.
Autrement dit, les 816 décès annuels en France se concentrent sur les 120 000 à 200 000 personnes faisant des CGTC.

Des études ont affiné ce taux d’incidence selon la fréquence de l’épilepsie : pour des personnes qui font plus de 3 crises généralisées tonico-cloniques (CGTC) par an, le taux de décès par mort subite est 15 fois supérieur au taux moyen de 1‰, soit un taux de 1,5 % [5].

Néanmoins, bien que les personnes faisant des crises fréquentes soient plus exposées, l’Académie Américaine soulignait en 2019 que la MSE concerne tous les types d’épilepsies, même les épilepsies bien-contrôlées : des crises conduisant à des décès ont pu se produire en cas d’oubli de médicaments, de manque de sommeil et même en l’absence de crise depuis un an. [8]

Pour cette raison, cette étude préconisait que l’information sur le risque de SUDEP devait être généralisée à l’ensemble des personnes sujettes à des CGTC, voire à celles faisant des absences car l’épilepsie de ces dernières est susceptible d’évoluer vers des crises généralisées tonico-cloniques.

Ce point est confirmé par le Dr Donner qui souligne que 33% des SUDEP signalés dans le registre canadien NASR concernaient des personnes qui avaient eu moins de 10 crises GTC au cours de leur vie (et 4% n’ayant jamais eu de crises signalées) , et que seulement 11 % des décès concernaient des personnes atteintes d’encéphalopathies épileptiques réfractaires.
Il existe d’autres statistiques établissant qu’environ 10% des MSIE surviennent avant que le diagnostic d’épilepsie ne soit posé.

Enfin, il est capital de souligner que le taux d’incidence est un taux annuel : le risque se cumule au fil du temps : Une étude de 2010, qui porte sur des patients épileptiques depuis l’enfance suivis sur une période de 40 ans, donne un pourcentage de 7 à 13% de décès par mort subite avec un âge médian de décès de 26 ans [9]
Toutes ces raisons font qu’il est nécessaire d’apporter une information appropriée aux personnes touchées par l’épilepsie à partir du moment où elles font des crises généralisées tonico-cloniques, ou sont suspectées d’en faire.

Le point sur le taux d’incidence de la mort subite et inattendue chez les enfants
Il a circulé pendant de nombreuses années des taux d’incidence de la mortalité par MSIE des enfants et des adultes qui sous-estimaient d’un facteur 5 celui des enfants. Le taux de 1 pour mille étant dèjà estimé comme correspondant à un risque très faible, un risque cinq fois plus petit était considéré comme inexistant ;
Cette sous-estimation du risque pour les enfants a pour conséquence que l’information sur risque n’a pas été faite.
Or ce taux est encore celui mis en avant par la HAS (même si elle cite d’autres études plus récentes qui le remettent en cause).
Il faut noter que le RSME a bien apporté la correction à ce taux dès 2019 (https://www.edimark.fr/revues/la-lettre-du-neurologue/n-9-novembre-2019/epilepsie-et-mortalite-commentenparler ).
Heureusement, certaines équipes d’épileptologues sont bien informées des chiffres réels (cf l’article "Sommet national de l’épilepsie de novembre 2024" et conférence d’Epilepsie France du 12 décembre 2025 : https://www.youtube.com/watch?v=As7IfBHk6sI à partir de 13:56) mais ce n’est pas le cas tous les professionnels. Pour ceux d’entre eux pour lesquels les recommandations de la HAS sont une source d’information, il est urgent de faire les corrections nécessaires.

Notes

[1Elizabeth Donner,-conférence du 17 sept 2021 « Sudep : lessons Learned » :https://www.youtube.com/watch?v=eaYQziFWAIQ&ab_channel=CETNCanadianEpilepsyTeachingNetwork

[2Sophie Dupont, "Epilepsies de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte, Monographies de neurologie", Ed Elsevier Masson, avril 2020, p 3

[3L’état de mal est une crise d’épilepsie prolongée de plus de 10 minutes, ou une succession de crises sans retour à la conscience entre temps. Il ne conduit pas nécessairement au décès, mais peut laisser des séquelles neurologiques définitives telles que des troubles de l’attention, des troubles cognitifs, une détérioration intellectuelle, ou l’aggravation d’une épilepsie car il entraine une détérioration du cerveau - ce que ne fait pas une crise d’épilepsie "normale"

[4cette identification tardive reflète plutôt le manque d’intérêt pour cette maladie remontant à des temps immémoriels et apparaissant mystérieuse et peut-être inévitable, et non pas parce que le nombre de cas aurait explosé au cours du 20è siècle

[5Dans de nombreux cas de sudep, la cause portée sur le certificat de décès va être "cause naturelle" ou "épilepsie".

[6à noter : l’étude neo-zéalandaise de 2025 qui estime que ce taux est probablement sous-estimé de 80%

[7Ce taux d’incidence est également comparable à celui trouvé par une étude suédoise (1,1 à 1,2 ‰ ) : A nation wide population-based case-control study, O. Sveinsonn, T. Andersson, etc, in Neurology 2020, Jan 2894 (4) ; l’étude a porté sur les patients enregistrés dans la base nationale comme ayant été pris en charge pour épilepsie ( hospitalisation y compris ambulatoire) entre 1998 et 2005 (78424 personnes) et qui vivaient toujours le 30 juin 2009 (60952 personnes).

[8« Even people with well-controlled epilepsy may be at risk for sudden death » , American Academy of Neurology, June 19, 2019 ; https://medicalxpress.com/news/2019-06-people-well-controlled-epilepsy-sudden-death.htm

[9« Long-Term Mortality in Childhood-Onset Epilepsy » New England Journal of Medicine (NEJM), 23 Dec 2010, vol 363, p2522-2529 . Un taux de 12 % sur 40 ans est évoqué dans une étude comparable cité dans « EpM. Sillanpää and S. Shinnarilepsies de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte » Sophie Dupont, Ed Elsevier Masson, p 3. - Cette étude est reprise par le Dr Dupont ( [3]) : "les MSI seraient responsables de 5,2% des décès de patients épileptiques et de 36% de ces décès dans la tranche 0-15 ans avec un risque cumulatif de décès par sudep allant jusqu’à 12% sur 40 ans en cas de facteur de risque avéré. Elle relève aussi que les décès par MSIE sont « très certainement sous-estimés », ce qui est également la conclusion d’une étude néo-zélandaise de 2025 :https://stopmep.fr/Etude-Neo-Zelandaise-sur-l-incidence-de-la-mort-subite